« Foutu salopard, sale fumier ! Ramène-moi une p*tain bouteille de rouge ! MAINTENANT CHIEN ! » Je le vis agiter l'ancienne bouteille en verre vide autour de lui, comme une baguette qui s'apprête à fouetter un chien fautif. Ses yeux hagards marron sale me fixaient, embrumés par l'alcool. La petite pièce était mal éclairée et partout sentait le tabac froid, mêlé à l'odeur de la boisson. Des gens plus sales encore jouaient aux cartes, lui subtilisant quelques piécettes d'or et de jetons taillés grossièrement dans le bois, dans son dos. Sa barbe mal rasée jaunie par l'âge et le tabac me répugnait. « Oui père. » ai-je répondu. En vérité, je crois avoir répondu ceci – et assisté à cette scène – des milliers de fois, presque tous les soirs. Il fallait par ailleurs voir les roustes que je me prenais quand j'osais rentrer tard. J'aurais bien dit « Non père. », avec plaisir même, mais je savais bien que si je refusais, j'aurais partagé les ruées de coups avec ma sœur, mon frère et ma mère. Ce n'est que lorsque je suis devenu Traqueur – un chasseur de primes – et que ma fratrie et ma mère furent mortes, de la guerre, de la maladie et d'un accident, que j'ai pu lui dire non. Je m'en rappelle bien, car c'était la veille où je me suis fait arrêté, torturé deux jours et deux nuits puis exécuté sur le billot pour avoir déserté l'armée, entre autres. C'est d'ailleurs après mon exécution que j'ai découvert ma remortalité, et que j'ai rejoint les Terres de l'Ordre, pour rencontrer d'autres « anomalies » comme moi. Toute notre vie, nous l'avons servi : alcool et argent étaient ses meilleurs amis. Je ne sais pourquoi je pense toujours à lui, malgré qu'il soit mort et enterré. Je pense qu'au fond de moi, c'est ce qui m'a le plus marqué et, je me dis que sans lui, je ne serai peut-être jamais venu dans l'Ordre. Qui sait, si j'avais eu un père bon et aimant, je serais sans doute resté auprès de lui. Ma mère n'était qu'une tavernière qui travaillait très tard le soir voire durant la nuit, ma sœur une simple couturière, son mari un paysan et mon frère... Est mort à la guerre. C'est d'ailleurs en partie pour ça que j'ai déserté. Notons que je ne me suis jamais engagé volontairement, j'ai été enrôlé de force. Je crois que je n'arriverai jamais à oublier cet être infâme qui n'a de père que le nom. J'aime me consoler en me disant que cela m'a endurci, ce qui n'est pas faux d'ailleurs, mais je suis aussi extrêmement déçu et triste de partager son sang. Dans la famille, tous les hommes sur toute la lignée de ma famille paternelle est rongée par les tares. Mon arrière grand-père aimait les femmes, surtout celles qui étaient déjà mariées et mon grand-père aimait lui aussi les femmes mais sans que cela soit forcément réciproque si j'ose dire. Mon père aimait le jeu, la boisson et l'argent. Mon frère ? Il n'aura jamais eu l'occasion de découvrir ce que c'était, peut être ses pertes de mémoire occasionnelles, même si cela n'a rien de bien mauvais, en tout cas, pas pour les autres personnes. Et moi ? Quelles sont mes tares ? J'ai été un chasseur de primes et j'ai par le passé rejoins le Culte Noir, entre autres fautes moins graves à mon sens. J'ai par ailleurs aimé l'argent et l'or même si je pense m'être sevré depuis que je suis dans l'Ordre, où l'émeraude ne vaut rien. Ne sont-ce pas là mes troubles, mes anormalités ? Je ne saurais y répondre. C'est aux personnes qui comptent pour moi de me le dire. J’étais Kayn Niermayer et je suis aujourd’hui Kayn Valaïrioriel, membre de l'Ordre et du Guet de Sangha. Et j'en suis fier. Et j'en suis honoré.

Salut.