Histoire du personnage
Un reflet d’éclat lumineux, issu de l’œil gargantuesque qui irradiait son écrasante lumière sur le monde révélé, se réverbéra dans la pupille d’or du nain enserré dans son tabard bleu roi, semblable à un cristal de roche dans son écrin de pourpre.
Lourdement avachi, les bras mollement étendus, paumes vers le ciel, adossé au tronc rugueux d’un vieux chêne massif, les mémoires resurgirent dans son esprit à l’image des vagues mousseuses sur la grève gris-acier de terres lointaines, là où la vie fourmillait autrefois sous la terre. Les paupières se refermèrent sur les globes iridescents, coupant là l’observation fixe et hébété de l’armure éparse qui jonchait le sol, carcasse étrange et inattendu dont la colonne vertébrale s’hérissait agressivement de piques et des pointes métalliques du feu et de la guerre.
Etrangement, ce ne fut pas le champ de bataille qui se manifesta sur la feuille vierge de son fil acéré de pensée solitaire. Ce ne fut pas non plus les cris de ralliement, de victoire, et quelques fois de défaites qui emplirent ses oreilles comme pour ramener les morts et l’acier des forges ronflantes comme des dragons à la vie. Pas le sang, pas la chaleur, pas la pression des globes oculaires exorbités, la respiration rauque qui rythmait chaque nouveaux mouvements de la danse macabre.
Rien de tout cela.
Non, ce n’était rien de toute cette vie agitée, passée à guerroyer contre lui-même et les autres, à se battre – en ce qu’il avait depuis longtemps appris que rien dans l’existence ne se rendait au simple bon sens, et que tout devait être conquis par les flammes. La première chose qui émergea des brumes scintillantes de son esprit hébété, ce fut les pointes rocheuses acérées qui avaient orné le trône de sa ville natale, lourde couronne pesante sur la société troglodyte enterrée sous la surface. La première et la dernière vision de son chez-lui, couffin qu’il n’avait jamais quitté que pour ne plus y revenir, et trouver ailleurs le sens, épancher la soif qui lui brûlait malgré lui la gorge.
Ca n’était pas la mort qui l’avait éveillé à la recherche. Ca n’était pas la tragédie, ni la joie, ni une page qui l’avait malencontreusement trouvé. Pas de voyageur en tabard bleu roi, pour lui parler de savoirs cachés et d’Île Volante majestueuse, de terres inconnues par-delà les cavernes d’acier et leurs pluies d’absinthe qui se déversaient en torrents, creusant à même la roche leur lit de cristaux scintillants des infinies réflexions du feu du ciel, dans la pluie et dans la roche.
Non, rien de tout cela.
Son enfance de kaer’nanillon avait été heureuse, mais aussi solitaire. Ses cercles de congénères qui pratiquaient le jeu des pierres dansantes ne lui avaient jamais été fermé, mais jamais ouvert non plus. Il s’était contenté de rester dans le giron maternel – un giron maternel bien impuissant, sans le père nécessaire à la jeune naine pour assurer la subsistance de sa progéniture.
Pourtant, il n’était pas malheureux. Une mère lettrée – chose surprenante, dans les cavernes de la terre-mère – avait tapissé sa maturation de lectures et de contes, de dragons et de récit de voyages, de poussées fantasmagoriques jusqu’à la surface, écrits interdits qui promettaient aux initiés le paradis terrestre pour qui se libérerait de la misère d’en dessous, et grimperait à la roche acérée jusqu’au tunnel vers la surface.
Ces écrits là étaient interdits, Lellion avait été interdit par sa mère d’en parler à ses amis – ça ne risquait pas.
Par le temps où sa mère fut arrêtée et ses livres récupérés par savait-on-qui, le jeune nain avait atteint sa vingtaine. Enfant sans parents, orphelin de la terre, il lui avait fallu travailler – la terre. Pourquoi devaient-ils travailler la terre, meurtrir la grande mère nourricière de la pointe de la bêche et de la pioche, si c’était elle qui leur offrait leur abri ? Pourquoi n’étaient-ils en aucun cas autorisé à sortir, et pourquoi les autres refusaient-ils de seulement imaginer qu’ils puissent aller voir par eux-mêmes ? Pourquoi Lellion était-il seul, et pourquoi devait-il travailler 14 horyel par cyclame pour dévorer une pitoyable pitance de carotte écrasée et de rachitique navet élevés à la lumière de la radiante extirpé des mines ?
Vint un moment où il n’y tint plus. La curiosité, la promesse d’une vie meilleure, l’esprit d’aventure, mais plus encore la solitude, l’expulsion du cercle clôt de la société, bouclé par la peur et la promesse de sécurité de laquelle Lellion était exclu avaient fini par le convaincre de tenter sa chance. Une lanterne pour la route, un quignon de pain rassis pour son futur dîner et une pioche – pour se défendre, sur le chemin au paradis – constituait l’ensemble de son appareil.
Le kaer’nain revint à lui-même. Les pensées et les souvenirs, choses diverses et fuyantes, se dissipèrent, spectres curieux chassés par un éclat trop vindicatif de soleil qui s’était faufilé sous les paupières mi-close du petit homme. L’homme d’arme soupira. Il poussa sur ses mains, redressant son torse désarticulé pour mieux s’adosser à l’arbre, et traîna lourdement son genou jusqu’à son torse, au sommet duquel il laissa pendre son bras gauche. Un sourire naquit au coin de son visage, là où la balafre de son œil droit rencontrait presque sa bouche. Paisiblement, il regarda la plaine ouverte, laissant là le squelette d’acier qui chauffait sous l’astre solaire, guerrier plus vindicatif, plus frappant et plus opiniâtrement régulier que n’importe quel autre.
Présentation du joueur
Merci à Lucien pour avoir rédigé ce magnifique background !