Une chute. Je ne m'en souviens pas, mais ma vie a commencé par une chute. C'est ce que mon père m'a toujours raconté, après que j'ai transpercé le toit de chaume de sa maison. Et voilà que comme ça, il s'est retrouvé avec un enfant dans les bras d'un genre tout à fait nouveau : noir comme la nuit, l’œil droit luisant comme le soleil et l’œil gauche - endommagé par la chute - de la couleur d'une flamme. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre, le village fut très accueillant pour cet être étrange. Bien qu'ils ne m'eurent jamais considéré comme un homme, je reçus toujours plus de considération que les femmes, à ma plus grande incompréhension. J'étais un mystère de la nature que tous voulaient préserver. Ma vie fut toujours faite de chute. Très tôt, quand on me fit travailler dans les champs, je montrais ma chétivité. Que ce soit pour planter les choux ou arracher les carottes, je finissais toujours le derrière par terre. Alors bien vite on me mit aux tâches intellectuelles, on m'apprit à lire et à écrire, à compter et calculer, pour que j'apporte ma contribution à l'effort commun. Rapidement, je rationnai les vivres, disposais les granges pour passer l'hiver. Mais une année, les conditions furent plus rudes qu'à l'accoutumée. La neige s'éternisa, le soleil se cachait et les provisions s'amenuisaient. Force de durs sacrifices la saison passa mais les regards avaient changé. Si les visages se montraient toujours aussi souriants, certains étaient plus rancuniers que d'autres. Une chute. Mauvaise blague de quelques villageois, qui voulaient m'apprendre la leçon. Qui pensaient que l'eau au fond du puits amortirait l'atterrissage. Ils avaient vu juste, je me retrouvai à trois mètres de profondeur. Mes yeux me lâchent, mes pensées s'embrouillent. L'eau m'enveloppe comme une mère qui étouffe son enfant de passion, recouvrant chacun des pores de ma peau. Ma main surgit à la surface, les rires s'amplifient et je sens le seau atterrir près de moi. Trop tard, je sombre dans les profondeurs... Dans les limbes.

En attente.