« Encore une bière », hurlèrent les ivrognes. Il était tard. Seuls dans cette taverne isolée, deux ivrognes et un tavernier passaient le temps. Clameurs et moments de silence s’enchaînaient sans réelle cohérence, au gré des humeurs. Les autres clients n'étaient pas rentrés tard. La rumeur courait que les routes n'étaient pas sûres. Alors que la lune brillait haut dans le ciel nocturne constellé, un aventurier vint troubler la lourde beuverie. Il rentra dans la taverne sans saluer personne, ce qui ne manqua pas d’irriter les buveurs. Le tavernier n’en prit pas ombrage. Tout le monde était fatigué à cette heure-ci. L’aventurier commanda une bière, lâchant deux pièces de bronze sur le comptoir. Les deux ivrognes ne le quittaient pas du regard. L’un d’eux, qui coupait des morceaux de pain et de saucisson avec son couteau de poche lança: « Hé, l’aventurier, on dit pas bonjour aux copains ? » Son interlocuteur ne le gratifia pas d’une réponse. « Ohé, ducon, j’te parle! », insista-t-il. Toujours pas de réponse. L’ivrogne en question s’était levé et inspectait du regard le barda du vagabond, fixant son regard sur l’épée à sa ceinture. « Sympa ton couteau à beurre…j’peux l’essayer ? » L’aventurier restait de marbre, sirotant la bière que le tavernier venait de lui laisser. « Eh, j’te propose un truc…tu me passe ton couteau à beurre, et j’te passe mon couteau de poche, hein ? T’en dis quoi ? » L’aventurier ramena son épée vers sont flanc, tirant sur sa ceinture. « Vous en avez pas assez fait là ? » demanda le tavernier, passablement énervé. L’ivrogne alla se rasseoir, ricanant. Le baroudeur laissa quelques pièces supplémentaires sur le comptoir pour passer la nuit dans une chambre, à l’étage. Sa bière finie il prit donc ses quartiers dans une chambre miteuse à l’étage. Les ivrognes outrepassèrent la vigilance du tavernier qui avait commencé son ménage et allèrent à l’étage. Ils trouvèrent l’aventurier assoupi sur une paillasse et, sans autre forme de procès, lui tranchèrent la gorge avec le couteau de poche. Ils se saisirent de son épée, laissant leur victime se vider de son sang. Le lendemain, les deux alcooliques de la veille étaient repartis et faisaient route, contents de leur méfait. Ils furent pris de stupeur en remarquant que, devant eux sur la route, se tenait l’aventurier. Pas de trace de sang ni de cicatrice. En un vif moment, le second soulard s’élança avec une matraque pour prendre de vitesse le revenant. Il fut rapidement étripé et laissé sur le sol sablonneux du chemin. Le premier gaillard, qui avait toujours l’épée, la dégaina et se lança lui aussi à l’assaut. En une pirouette, le baroudeur esquiva et planta le couteau de poche dans le ventre de son assaillant. Ce dernier s’effondra, le regard plein d’un mélange d’incompréhension et de terreur. L’aventurier l’égorgea avec le couteau de poche, reprit son épée, et continua sa route. Il n’y aurait pas de pilier de bar à la taverne, ce soir.