C'était une nuit froide. Une nuit froide, sombre, et pluvieuse. Ses sens étaient brouillés, sa vision inexistante. Il était réduit à la cécité, et ce à cause de son espèce. Pourquoi courait-il ? Il aurait probablement pu s'arrêter, faire demi-tour, tâtonnant dans l'obscurité, afin de retrouver, après de longues heures, les portes si familières de sa cité. Cependant, il n'en faisait rien. Il continuait à marcher, ahanant dans la noirceur du monde. La Nation. Il aurait tant voulu y retourner. Mais il avait suffit d'un voyage, d'une seule sortie de la ville, pour que tout bascule. Son professeur ne l'avait pas averti des dangers de l'extérieur, il n'y était pas habitué. Les bandits étaient rares, aux abords du pays Sapère. Pourtant, ils les avaient trouvés, et précipités au fond d'une carriole, loin, très loin de sa patrie. Il n'avait alors que quinze ans. Quelques misérables années de sa vie, au court desquelles il n'avait eut que la bibliothèque familiale, ne s'élevant alors qu'à deux mille cent quatre-vingt quatorze ouvrages pesants. Autant dire que sa culture en était très appauvrie. Voilà comment il fut traîné hors de sa ville bien-aimée. La carriole s'arrêta à une petite bourgade, nomme Val Brumeux, où la troupe de Sapère, tous érudits, furent exposés en public, devant les yeux horrifiés des habitants du village. Pour eux, ces êtres, pourtant des plus intelligents que le monde ait connu, n'étaient que de triste démons. Bienheureusement, la foule se dispersa, non sans avoir projeté de nombreux fruits et légumes au visage des pauvres hères, qui, suite à cela, furent perturbés au point de s'écrouler sur le sol, sans force. Alors, une figure leur apparut. Il s'agissait d'un noble, humain. Il les recueillit dans un manoir imposant, dans lequel s'étalaient livres, croquis, oeuvres inachevées, de même que des documents les plus rares, écrits par les artistes les plus brillants ! Le savoir de Lynaelus s'enrichit de quarante-cinq mille six cent soixante-quatorze volumes imposants et poussiéreux. Ainsi, la vie de notre Sapère fut calme, vouée à l'étude d'anciens documents, à la traduction de manuscrits ancestraux. Elle fut aussi ponctuée de poésie, de philosophie, de joies et de doutes, de douleur et de chagrins, bien qu'ils furent, pour la plupart, courts. L'humain était son nouveau maître, et lui, Lynaelus, était un étudiant modèle. Mais il apprit, au cours de sa vie, que les meilleures choses ont toujours une fin. Une nuit, alors que tout le manoir était endormi, un homme encapuchonné enfonça la porte, suivit par une petite troupe de villageois. Ces derniers haïssaient les Sapères, désiraient leur mort. L'acte se fit sans bruit, sans hurlement, sans souffrance, mais définitivement empli de douleur. Le Sapère mourut à l'âge de vingt et un ans.

En attente.