C’est drôle de voir comment l’histoire d’une jeune fille peut susciter autant d’intérêt...Et bien qu’elle me soit tout à fait banale, je vais vous la conter… Je suis née à l’aube d’un jour ensoleillé, dans un petit village de campagne, « touchée par les premiers rayons solaire » comme le disait souvent mon père. Un début ne présageant que de bonnes choses, n’est-ce-pas ? Mais c’était sans compter sur le mal qui rongeait ma mère depuis quelques septiels et qui lui faisait perdre peu à peu son souffle vital. Elle mourut quelques heures après l’aurore. Je me retrouvais donc seule avec mon père, ma seule famille, dont la vie dans notre hameau devenait insupportable tant la vue de chaque objet lui rappelait sa défunte épouse. C’est ainsi qu’il partit, emmenant avec lui les quelques richesses qu’il possédait et ce lourd fardeau dont il avait hérité, caché sous un pan de son manteau : moi. Il marcha longtemps avant d’atteindre son but, le seul endroit où il savait qu’il serait accueilli comme un frère, comme un membre de l’équipage : la mer. Mon père n’avait connu que la profession de marin jusqu’au jour où il avait rencontré ma mère, jour où l’amour lui a fait quitter les grandes étendues bleues. Mais au fond il avait toujours su que l’appel de large retentirait un jour. J’embarquai alors pour la première fois à bord d’un trois mats, bleu comme l’océan et qui filait sur les flots comme un ouragan. J’y appris toutes les choses de la vie, à marcher avec les mousses, à parler avec le second et même à lire avec le capitaine, tous me considéraient comme une fille ou une sœur pour les plus jeunes, formant pour moi une nouvelle famille. Cette vie ne m’a jamais déplu, bien que les journées se faisaient longues sur les mers d’huile, je trouvais toujours du temps pour lire les nombreux livres recouverts de cuir usé du capitaine. Mais les meilleurs souvenirs resteront les sorties nocturnes. Je passais le plus clair de mes nuits à contempler le ciel, les étoiles étant mes seules amies, mes confidentes. Certains soirs de nouvelle lune, mon père m’accompagnait et nommait chacune des constellations que le ciel dégagé nous permettait d’observer. Ainsi les jours passèrent, tous plus ou moins identiques, jusqu’au jour de mon 19ème anniversaire…Une magnifique fête, quelques bouteilles de trop, une tempête puis… Le noir. Je me souviens des craquements sourds du bois, de l’eau qui s’infiltre entre les planches brisées, des cris de mon père, essayant tant bien que mal de maintenir le navire entier. Je sens encore la sensation gelée de l’eau entrant dans mes poumons, murmurant un ultime appel au secours... « A l'aide ! » La mort était notre seule issue, un long tunnel noir où ne régnait que la tristesse et la douleur, la désolation et les ténèbres. C’est le contact froid d’une roche qui m’était inconnue qui me fit ouvrir les yeux. En vie. J’étais en vie, l’air que je respirais me brûlait la gorge, mais ma solitude m’inquiétait bien trop pour que j’y porte toute mon attention. Ils n’étaient pas là, l’équipage, mon père. J’étais seule dans cet endroit sombre et sans vie. Pour la première fois de ma vie, j’ai senti la lame empoisonnée du chagrin transpercer mon cœur. J’ai pleuré, longtemps certainement, mais il arrive un moment où les larmes ne coulent plus et où l’être meurtri doit faire face à la triste indifférence de la réalité. Je me souviens m’être relevée, fébrile, et sentant quelque chose dans ma main, j’aperçu, serrée entre mes doigts, la fleur blanche que portait mon père dans une des poches de son uniforme, en souvenir des rayons de l’aube… Mes souvenirs sont ensuite confus, un labyrinthe, la lumière crue du Soleil, une jeune fille blonde, une forteresse, des bribes de phrases, l’ « Ordre »… « Et…Comment t’appelles-tu ? » C’est vrai, je n’ai jamais eu de nom, tout le monde m’appelait la « petite fleur » du navire… Ce navire, le « Nahkriin », ma seule maison, ravagée par la force destructrice des fonds marins, réduite en un tas de bois difforme et décoloré… Je suis le dernier membre de l’équipage, emporté par la dérive et bercé par les quatre vents. «Nahkriin, je me nomme Nahkriin..» Voilà, pour vous tous, je m’appellerai Nahkriin, un nom aux origines obscures, tout comme mon histoire, mais porteur de souvenirs aussi joyeux que terribles... Ce soir, une nuit nouvelle étend son manteau sombre et maintenant je suis la course immuable des étoiles dans un ciel dépourvu de couleurs. J’ai rejoint le Culte Noir, encore une nouvelle famille, qui m’aidera peut-être à expliquer les phénomènes étranges qui ont influencé mon passé, font vivre mon présent et forgent mon futur. La suite de mon histoire reste une page vierge voltigeant sur le chemin que je m'empresse de suivre. Ce chemin plus communément appelé "destin"...

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