Si tu tournes actuellement les pages de ce carnet, c'est que tu n'en as plus qu'à moitié besoin. D'abord, tu as parcouru des dizaines de kilomètres dans une forêt qui voulait ta mort ; tu y auras sûrement rencontré quelques désagréments, pour dormir notamment, parmi les cris stridents des chauves-souris, malgré la piqûre éreintante des moustiques et les morsures incessantes des fourmis. Tu y auras sûrement découvert la joie de grimper à un arbre sans branches couvert de champignons gluants pour échapper à des loups assoiffés de chair et de sang. Cette forêt, c'est chez moi. J'y suis née. J'y ai passé mon enfance. Je lui ressemble un peu. Ensuite, par le plus grand des hasards, tu te seras retrouvé dans ma clairière, moins d'un millième de la surface de cet océan hostile. Par je ne sais quel moyen, tu auras atteint la porte de ma masure de bois. Soit tous les pièges sont remplis de cadavres, soit le temps les a usés. Peut-être les as-tu parés ? Tu as tout mon respect, dans tous les cas. Tu sais maintenant que moi aussi, je veux un peu ta mort. Et que chez moi, c'est chez moi. Les monceaux de carnets qui tapissent le plancher t'auront appris ma principale occupation : le dessin. Et, accessoirement, que je ne range pas souvent. L'unique lit t'aura fait deviner que je vivais seule. Les outils de mon établi t'auront appris que je ne sculptais pas d'armes. En ouvrant les carnets, tu auras vu que j'observais beaucoup la nature. Que tu aies trouvé celui-ci parmi tant d'autres relève du possible après tant d'improbabilités. Ce que tu ne sais pas encore, c'est que mon nom est Akakaka. Maintenant, tu sais deux choses : que mes parents ne m'aimaient pas beaucoup, et que je suis assez bornée pour garder un prénom aussi ridicule. Alors que j'écris ces lignes, j'ai quinze ans. Mon père m'a élevée, seul, en ces lieux. Il y a bientôt dix ans, il m'y a abandonnée. Il est revenu une fois l'an, m'apportant des carnets vierges et des nouvelles de ma famille. Je suis un secret. Une erreur de parcours. Mais tout cela n'a plus d'importance à présent. Si tu n'as pas trouvé de lettre sur la table, c'est qu'il l'a déjà prise. Je m'en vais. Il y a tant de choses que je voudrais découvrir. Tout un monde à dessiner. J'ai passé des années merveilleuses ici, à croquer, explorer, contempler. Mais je n'ai jamais vu le ciel. Ce n'est pas la découverte de cette bicoque poussiéreuse qui donnera un sens à ta laborieuse expédition. Tu as sûrement un ciel à découvrir aussi, au détour d'un autre arbre. Bonne route à toi.

En attente.